J’ai pas vu passer ça!

– T’as un beau teint Nath, tu l’as sûrement pas trouvé par ici dans le temps des Fêtes !

– Bin non, j’ai passé dix jours en Floride avec mes hommes.

– Ah ? J’ai pas vu passer ça ?

– Passer ?

– J’ai pas vu passer ça, sur Facebook !

C’est là où nous en sommes en 2018. Tout afficher sur notre mur Facebook est maintenant la norme, une attente de notre communauté virtuelle. Chaque fois, je souris. Avant, il fallait laisser un message sur le répondeur à cassette de la maison et attendre un retour d’appel. Maintenant, on peut rejoindre les gens instantanément où qu’ils se trouvent, même les suivre partout sur la planète. C’est tellement fou que notre vocabulaire est désormais parsemé de nouvelles questions et expressions qui n’auraient fait aucun sens il y a quelques années. «As-tu vu passer la dernière ?» «Tu me partageras ça. » «J’ai mis quelque chose sur ton mur, vas voir.»

Je suis perplexe. J’utilise graduellement Facebook comme un transport en commun. J’embarque. Je débarque. Je marche. Je covoiture avec des vrais humains. Je rembarque. Je fais des arrêts. Je suis sélective sur ce que j’y lis, et de plus en plus sur ce que j’y publie. Je comprends que ça fait partie de notre époque et de notre mode de vie moderne mais je me questionne. Par choix, j’ai terminé 2017 et commencé 2018 sans Facebook. Je n’ai même pas cherché à voir ce que les autres faisaient de leur côté. J’ai pris le temps de vivre en temps réel, non à travers un écran de quelques pouces carrés mais bien à travers mes yeux en format panoramique. Étrangement, je me suis sentie délicieusement délinquante. J’ai aimé.

Je ne suis pas en train de dire que vais quitter les médias sociaux. J’apprécie la possibilité de renouer des liens et de garder contact avec des gens que j’aime et qui sont trop loin pour pouvoir les côtoyer régulièrement. Quand une portion de notre vie professionnelle s’y trouve, s’en retirer complètement veut aussi dire mettre de côté une clientèle importante. C’est dans l’affichage des gestes du quotidien que j’ai envie de jouer de prudence, de doser. Je tente l’expérience de me filtrer, de prioriser la qualité sur la quantité, de miser sur le contenu plutôt que le contenant. «Less is more» comme diraient nos voisins du sud.

Je n’en lis désormais pas plus que j’en affiche. Ne m’en veux pas si je ne suis pas au courant de la cuisson de ton dernier steak, de ta montée de lait politique ou de ta frustration contre l’air bête de la caissière à l’épicerie. J’aime l’idée que lorsque je te rencontrerai, nous pourrons avoir une vraie conversation. Nous nous poserons des questions, nous aurons des réponses, nous nous surprendrons et ce que nous échangerons créera une connexion. Authentique. Vraie. Pas de wi-fi, pas de Bluetooth, une connexion du cœur. Je préfère l’expression de tes yeux et le son de ta voix aux quelques lignes lues sur un écran froid. La prochaine fois que nous nous croiserons, il y a fort à parier que la réponse à une des questions que tu me poseras sera: «Bin non, j’ai pas vu passer ça !»

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