
Inspiré d’une femme,
de son amour pour l’eau,
de sa capacité à générer du bonheur,
et des couleurs qui font chanter son coeur.
Il était un lit, un oasis. Un cocon chaud dans les premiers rayons de soleil du matin. L’endroit parfait où l’esprit peut doucement refaire surface et fusionner à nouveau avec son corps endormi. Un à un, les mouvements sous les couvertures rappellent qu’il faudra se lever bientôt mais pas tout de suite ! Peut-être y a t’il du temps pour y flâner avec un journal et un café ? Si c’était le moment idéal pour le déjeuner au lit ? Et pourquoi pas simplement rester couché sur le dos, les mains jointes derrière la tête, à regarder le plafond en refaisant le monde ?
Le lit du matin, le meilleur point de vue pour le spectacle d’ombres que la lumière dessine sur les murs lorsqu’elle filtre à travers les rideaux ou les stores. De là, comme sur une île déserte, on planifie devenir le héros de sa journée, le maître de sa destinée. Un point de départ duquel, ne serait-ce que quelques instants, tout est encore possible. C’est le silence dans la maison. Les oiseaux jasent et s’affairent depuis longtemps dehors, mais quel plaisir de faire durer ici cet état de grâce. Même les aiguilles de l’horloge tiquent plus doucement, soucieuses de ne pas déranger.
Pour le parent matinal, c’est le dernier espoir d’une tranquillité avant que le tourbillon de la réalité ne mette fin à la trêve ! Pour les amoureux, c’est un dernier effort à prolonger la nuit. Une étreinte de plus, en s’accrochant de toutes ses mains, de tous ses doigts, de tous ses bras. Pour l’enfant, c’est le retour du monde imaginaire, l’atterrissage dans la réalité et le décalage entre le monde et le merveilleux.
Le matin, faire le lit ? Quitter la chambre en jetant un regard sur les couvertures lissées, les oreillers et les coussins bien rangés, c’est la promesse du bonheur d’ouvrir à nouveau les draps qui, une fois le soir venu, seront prêts à nous accueillir dans une caresse méritée. Partir en laissant la douillette qui pendouille et l’espace en champ de bataille, c’est se rebeller à l’ordre, relaxer dans le chaos. C’est chez-moi, ma signature, mon royaume. J’y entre et j’en sors comme bon me semble, c’est ma paillasse après tout !
Il était un lit un jour de pluie. Un jour béni où le temps permet la gâterie la plus sublime de toutes ; la sieste. Une délicieuse parenthèse. Le droit de suspendre le cours de l’existence dans un effort de refaire le plein d’énergie. Le temps de se cacher ou de se sauver d’une journée trop chargée. Le temps de se dire «je t’aime et tu le mérites». L’aventurier ouvre la fenêtre pour entendre la symphonie des gouttes sur le toit, sur le sol, sur la vie. Alors là seulement devient possible de se couvrir du parfum unique de la nature mouillée, parfum qui enivre et ravive des souvenirs de jeux d’enfants. Les couvertures sont enveloppantes, rassurantes. Les oreilles remplies de clapotis et les yeux lourds, la dérive est accueillie avec un sourire léger qui s’estompe au même rythme que le cœur qui décélère. Seul, à deux, en famille. La sieste un jour de pluie est un plaisir coupable dont la rareté crée la valeur. Le lit devient complice du luxe.
S’étendre sans défaire le lit! Le luxe de s’étirer en écoutant la nature déverser son torrent et se perdre dans ses réflexions. Exister pour une heure, de laisser son imagination vagabonder et changer de direction à chaque coup de tonnerre. Devenir l’étoile au milieu d’une mer d’édredon, s’échouer à plat ventre sur une plage de flanelle, ou se recroqueviller confortablement et ronronner de satisfaction.
Il était un lit un soir d’été. Pendant que le brouillard du sommeil envahit le cerveau, la logique confuse hésite à rejoindre la douceur des draps puisque les dernières lueurs du soleil n’ont pas terminé de se perdre dans la nuit. L’appel est invitant. Le lit n’est vêtu que de son plus léger coton, partenaire idéal de la brise du soir. Une fois le rideau tiré, la pénombre invite au calme. Dehors, la symphonie nocturne est bien entamée. En vedette, grillons, grenouilles et dernier chants d’oiseaux. Peut-être le crépitement d’un non loin feu de camp transportant avec lui des effluves de bois fumé et des discussions feutrées.
Le soleil passe éventuellement le flambeau à la lune. Les dernières bouffées de chaleur sont sortent du béton et de la terre. La rosée se dépose offrant une fraîcheur, invitant au sommeil profond. Entre la seconde la plus noire de la nuit et celle d’où le bleu jaillira de nouveau dans le ciel, le mouvement de la légère couverture devient imperceptible. En haut, en bas, au rythme lent de la respiration la plus près de l’état de grâce.
Une nuit torride de canicule. Pas un souffle de vent. Les bestioles se taisent, écrasées par la chaleur. Où trouver le confort alors que chaque centimètre du corps cherche l’air frais disparu ? On ose à peine bouger de crainte que l’effort accentue l’inconfort. Lin ? Soie ? Satin ? S’étendre sur les draps, immobile. La nuit s’allonge entre les instants d’insomnie et les rêves de désert torride ou de saison enneigée.
Il était un lit un soir d’hiver. La couette est aussi lourde que le manteau blanc recouvrant la terre. Les courtes-pointes s’empilent avec les oreillers pour créer l’igloo protecteur des longs mois à venir. Les pieds nus trépignent sur le plancher froid alors que les mains s’affairent à créer l’espace parfait pour le dormeur frissonnant. Dehors la tempête fait rage. Le vent hurle aux fenêtres et craque les joints de la maison. Les stores baissés cachent le grésil qui claque en s’abattant sur les vitres, mais le son suffit à rappeler combien on gèle dehors.
Oh, les premières secondes où la peau entre en contact avec les draps froids ! Et l’attente immobile, en retenant son souffle, que le cocon et le corps s’apprivoisent et se tempèrent. Sans électricité, à la lueur d’une chandelle, c’est un grand bonheur d’ouvrir son roman préféré et de s’évader le temps de quelques chapitres. À deux, le lit d’hiver permet de s’enlacer longuement et confortablement. Les étoiles qui scintillent sur la neige fournissent l’éclairage parfait pour la confidence ou la discussion chuchotée sur l’oreiller. Les parfums se mêlent, l’espace se partage, le nid douillet se réchauffe. Des bruits de pas sur le plancher! Un cauchemar transforme le canot tandem en radeau familial. On se cajole, on se rassure, le temps d’une berceuse. Le poids des couvertures opère sa magie et apaise les corps. La respiration profonde s’allonge et ne restent bientôt que les enveloppes physiques alors que les esprits voyagent au pays des rêves.
Il était un lit dans le plus noir de la nuit. Un lit pour s’abandonner en toute vulnérabilité. Où se déposer, où se reposer. Un lit régénérateur de vie, d’énergie. Allez ! Au lit !
Depuis plusieurs années, je fais partie d’un groupe virtuel de triathlètes sur lequel des gens de partout échangent sur le sport et la vie sportive en générale. On y retrouve de tout : des conseils et des pseudo-conseils, des récits d’exploits, des questions de toutes sortes et une foules d’histoires drôles ou inspirantes. Puis, de temps à autres, des partages d’articles comme celui de abc News publié le 24 août dernier. Un article intitulé :
Une femme de L’Arkansas tuée pendant sa course : Ce que les femmes devraient savoir pour courir à l’extérieur en toute sécurité. [Arkansas woman killed while running : What women should know to stay safe on outdoor runs.]
Jarrett Arthur, un expert américain en auto-défense, insiste qu’il y a plusieurs précautions que les femmes doivent prendre pour se protéger lorsqu’elles courent dehors. Dans l’article, il cite 5 conseils :
1- Ne pas écouter de musique.
De cette façon, une femme peut entendre venir les gens qui s’approchent et prévenir une éventuelle agression.
2- Éviter les vêtements amples et les cheveux en queue-de-cheval.
Même si c’est confortable, un agresseur peut s’en servir pour vous agripper. Il faut privilégier les vêtements près du corps et cacher les cheveux dans une casquette.
3- Changer constamment sa routine de course.
Une femme devrait s’assurer de changer de route tous les jours pour échapper à la surveillance d’un potentiel agresseur.
4- Courir en groupe.
Il faut prendre en considération le pouvoir du nombre. Sinon, une femme devrait mentionner à une connaissance où elle va courir et à quelle heure elle prévoit revenir.
5- Savoir utiliser son corps pour se protéger.
Une femme devrait courir avec une posture qui inspire confiance, les épaules droites, la tête haute et en croisant le regard de tous les gens qu’elle rencontre. En cas d’attaque, elle doit plier les genoux les jambes larges pour baisser son centre de gravité et ainsi être plus difficile à faire tomber au sol.
S’en suit toute une série d’exemples expliquant où une femme devrait frapper, griffer et donner des coups de pieds à son agresseur pour s’assurer de lui faire mal et ainsi avoir une chance de se sauver.
Ça me dégoute de vivre dans un monde où ce genre d’article peut exister. Encore plus loin, ça me dégoute d’être une femme dans un monde où ce genre d’article doit être publié. Le 26 décembre 2018 je me suis levée plus tard qu’à l’habitude. J’ai quitté à midi notre petite maison de Hallandale en Floride pour aller courir. Notre quartier est bordé d’un boulevard très achalandé. À mon retour, à un peu moins de deux kilomètres de la maison, un véhicule utilitaire Lexus argent se met à ralentir à mes côtés assez pour que les voitures derrières s’impatientent et klaxonnent. Le conducteur, un homme dans la soixantaine, me fixe du regard. Il accélère ensuite pour s’arrêter dans le stationnement d’un commerce un peu plus loin sur mon chemin. Je continue ma route en le fixant les yeux froncés pour qu’il sache que je l’ai repéré. Lorsque je passe devant lui, le véhicule se remet en route et roule lentement à mes côtés, l’homme ne me quitte pas des yeux jusqu’à ce que les véhicules derrière lui s’impatientent de nouveau. Ce petit manège se répète deux autres fois.
Il est presque 1h en plein boxing day, il y a du monde partout. À ce moment-là, je ne ressens pas de danger mais plutôt une grande frustration. De toute façon l’entrée sécurisée de mon quartier approche et je sais qu’il ne pourra pas la franchir puisqu’un gardien y contrôle l’accès. Le véhicule s’engage tout de même dans l’allée, me devance pour se retourner et revenir vers moi. Il s’immobilise à ma hauteur, la vitre du passager descend, et l’homme me regarde sans rien dire avec un demi sourire. Je lui dis fermement et d’une voix forte qu’il a une seconde pour disparaitre avant que j’appelle la police. La vitre remonte, il accélère, fin de l’histoire.
Sauf que ce n’est pas la fin de l’histoire. Nous sommes en pleine heure du midi un des jours les plus achalandés de l’année. Et si j’étais allée courir comme à l’habitude aux petites heures du matin alors que les commerces des alentours sont fermés et que la ville dort encore? Une grande colère gronde à l’intérieur de moi et elle est dirigée envers ce sale individu qui a réussi à réveiller au fond de mon cœur un incontrôlable sentiment de vulnérabilité. Pourquoi? De quel droit? En pensant aux différents scénarios qui auraient pu se dérouler, la peur s’installe tranquillement dans ma tête et dans mes trippes dans les jours qui suivent. Je ne suis plus jamais sortie seule du quartier pour courir. Et chez-moi dans mon beau Trois-Rivières, j’ai abandonné la course dehors lorsqu’il fait noir. J’aimais ces moments de solitude tranquille, mais une nouvelle petite voix intérieure craintive m’en dissuade maintenant.
Lire aujourd’hui un article sur une femme tuée en courant réveille plein de sentiments refoulés depuis plus de deux ans et demi. Voir imprimé en noir sur blanc des conseils pour éviter d’être tuée en courant me lève le cœur. Surtout que ce sont des conseils qui me donnent des meilleures chances mais qui n’offrent aucune garantie. Si j’aime courir et que je ne suis pas née dans un corps d’homme costaud (de race blanche), je fais quoi? J’essaie de me faire pousser une barbe pis je m’achète un couteau de chasse? Parce que si je comprends bien le spécialiste en question, à partir de maintenant je devrais courir le corps raide en fixant tout le monde sans mes mix de musique préférés, en vêtements ajustés et les cheveux cachés, en changeant de trajet et d’heure chaque fois, préférablement en groupe. Vraiment? Sérieusement?
Quand est-ce qu’on a échappé notre humanité? Dire que les animaux prédateurs ne se mangent généralement même pas entre bêtes de la même espèce… Une chance que nous arrivons encore collectivement à créer de la beauté de temps en temps parce que des jours comme aujourd’hui, j’ai honte de mon espèce.
Salut Humain qui traverse malgré lui la crise causée par la pandémie mondiale!
Il y a une question qui me chicotte depuis plusieurs semaines et que j’ai envie de te poser. Qui es-tu vraiment? Dans ces moments inhabituels qui nous sont imposés, qui es-tu? As-tu pris deux minutes pour te regarder dans le miroir récemment et te demander le rôle que tu joues dans la collectivité?
Si je te pose la question tout d’abord, c’est que personnellement, je me le demande tous les jours. Tour à tour, je tiens plusieurs rôles.
– la fille forte qui tient le phare de sa famille et qui fait tout pour que nous soyons en sécurité;
– celle qui encourage ses adolescents à garder le cap sur leurs études, à entretenir les contacts virtuellement avec leurs amis, et à être fiers d’eux chaque jour où ils vont travailler à la pharmacie;
– la fille responsable qui ne sort que pour marcher ou courir autour de chez-elle et qui se pointe une fois par semaine à l’épicerie de son quartier en respectant à la lettre les mesures fantastiques déployées pour nous permettre de conserver le droit d’aller s’acheter à manger;
– celle qui voit plus régulièrement défiler les heures la nuit alors qu’elle lutte contre un vieux démon anxieux qui essaie de semer la pagaille dans son cœur et sa tête;
– la fille qui sait avec une pointe de tristesse que la vie que nous avons connue jusqu’ici est terminée, mais qui regarde avec espoir vers une nouvelle vie remplie de meilleur et de nouveau;
– celle qui fait de son mieux pour s’aider et aider le monde à passer à travers la crise.
Si je te pose la question, c’est aussi parce que je te rencontre les rares fois où je sors. Généralement, tu me fais sourire mais trop souvent, tu me mets mal à l’aise. J’ai un arrière goût amer d’appartenir à la même race que toi.
Tu sais quand?
Quand tu insultes la jeune fille dans l’entrée de l’épicerie qui te demande gentiment de passer au lavabo te laver les mains. La même jeune fille qui pourrait être chez-elle à écouter des vidéos dans son lit toute la journée mais qui passe toute sa journée debout devant une porte à accueillir les clients. Celle-là même qui ne devrait pas avoir à expliquer à un adulte que les règles qu’elle n’a pas écrites sont les mêmes pour tout le monde.
Quand tu ne me donnes pas mon espace dicté par la distanciation sociale et que tu passes par dessus moi pour prendre ta boîte de céréales au lieu d’attendre ton tour. Tu envahis ma bulle comme si c’était ton droit dans un moment où je me sens le plus vulnérable. Et pourquoi? Pour sauver les vingt-trois secondes que tu perdras de toute façon dans la longue file d’attente pour passer à la caisse?
Quand mes enfants reviennent à la maison le soir après une journée de dix heures à servir les clients à la pharmacie et qu’ils me racontent ce que tu leur dis. «Crisse que vos façon de faire sont niaiseuses!» «Vous capotez pour rien, c’est toujours bin juste la grippe!» «J’ai toujours fait ça d’même, c’est pas toi qui va changer ça!» «Vas me chercher ton boss osti de jeune incompétent!»
Je te repose la question. Qui es-tu?
Quand nous regarderons derrière nous dans quelques mois, dans quelques années, seras-tu fier de ce que tu auras montré aux autres?
Parce que tu peux me dire qui tu es avec des belles paroles et des belles histoires, il n’en reste pas moins que ce sont tes actions qui montrent aux autres ta vraie nature. Dans une crise comme celle que nous vivons présentement, la beauté cachée au fond des humains ressort. Et la laideur aussi. Révélée au grand jour par chacune de tes actions envers les autres et envers toi-même. J’ai un peu honte que nous appartenions à la même race, mais je suis prête à comprendre ce qui t’arrive. Tu vis un stress que tu peines à gérer, tu as peur et ça te mets en colère, l’incertitude pour ton travaille te donne envie de hurler. Je comprends. Mais ça vient me toucher quand tu diriges tes émotions mal gérées envers ceux qui font tout pour t’assurer un minimum de services. Ça vient me tordre le cœur quand je dois regarder mes garçons dans les yeux pour leur expliquer qu’ils n’ont rien fait de mal et de faire preuve d’empathie envers ton manque de contrôle parce que tu es simplement un humain blessé, comme eux.
Tu sais ce qui est cool dans tout ça? C’est que tout ce que nous devrons changer pour pouvoir retourner à une vie collective dans le futur t’offres l’opportunité de changer qui tu es. Que tu travailles, que tu sois au chômage, retraité, jeune, âgé, tu décides qui tu es. Pas ce que les autres sont. Pas ce que tu crois que les autres doivent être pour toi. Qui tu es. Si tu en as envie.
Jamais notre génération n’aura vécu une situation aussi stressante à la grandeur de la planète, une situation qui aura révélé qui nous sommes en tant que peuples, que société, que familles, et en tant qu’individu. Qui sommes-nous? Quand nous regarderons derrière nous dans quelques mois, dans quelques années, seront-nous fiers de ce que nous aurons montré aux autres?
S’il te plait, tu n’es pas une personne plus importante que les autres. Je ne suis pas plus importante que les autres. Je ne suis pas plus importante que toi. J’ai envie d’aider alors je me permets de te faire une suggestion.
Choisis la gentillesse. L’empathie. La patience. Le respect. Choisis l’amour.
Si c’est tout ce que tu peux te permettre de faire pour aider la collectivité, ce sera déjà un grand pas. Si c’est tout ce que tu essaies pour aider mes enfants à croire en l’humanité, ce sera apprécié. Et saches que même si je suis souvent déçue de faire partie de la même race que toi, je t’aime. De loin, mais je t’aime.
Journée internationale du droit des femmes. C’est drôle. Cette journée-là, je la vis sur un fond de mélancolie chaque année.
Il y a une toute petite tristesse au fond de moi liée aux raisons qui ont amené cette célébration. Je suis triste de savoir que le mot «international» n’implique malheureusement pas toutes les femmes et les filles de la planète, encore. Il y a une toute petite colère qui gronde au fond de moi quand je pense que cette journée est nécessaire. Quand je pense à tout ce qu’il a fallu justifier, à tous ceux qu’il a fallu convaincre. Et aux réponses que nous n’avons pas encore aujourd’hui. Est-ce qu’en 2020 un homme = une femme?
Il m’arrive de ressentir une petite déception d’être née dans l’équipe de celles qui ont le pouvoir de créer toute la vie humaine sur la terre. La responsabilité ultime, le grand miracle. Mais d’avoir eu à prouver jusqu’à notre place en société. Dès qu’une lutte est nécessaire, c’est qu’une injustice existe au départ. De tous les débats dans le monde, c’est celui que je ne comprendrai jamais. Surement parce que je suis née dans l’équipe qui perd depuis tellement longtemps.
Je suis habitée de tous ces sentiments, et j’ai fabriqué deux garçons. Un genre de douce ironie. Un laboratoire de recherche sur l’espoir. Deux hommes qui ont été élevés entourés d’humains forts. Un souvenir me remonte en tête en écrivant ces lignes. Celui des soirées entre amis que notre horde d’enfants passait à jouer au hockey en se disputant les services de la meilleure gardienne de but de la gang. Sans lui demander de prouver qu’elle en était capable parce que naturellement, ils le savaient tous. Dans notre laboratoire de recherche sur l’espoir, nos enfants ont déjà trouvé le remède à bien des maux de la société. Il faut juste trouver la meilleure façon de le propager au reste du monde.
J’ai envie de dire un gros merci aujourd’hui à toutes les figures fortes qui gravitent autour de moi et qui m’aident à croire que nous allons dans la bonne direction. Hommes, femmes, humains. Chaque jour, vous me faites du bien et vous êtes des modèles sur lesquels j’ai misé pour élever mes enfants, mes espoirs de jours plus doux.
Et je rêve. Du moment où la journée internationale des droits des femmes ne sera plus nécessaire. Où chaque levé de soleil sera implicitement, sans campagne publique, une vraie journée internationale des humains ayant des droits égaux.
Imagine, Van Gogh…
C’était peut-être leur premier rendez-vous.
Un endroit pas trop engageant; un territoire neutre.
Elle lui avait peut-être suggéré l’exposition immersive comme point de rencontre se disant que dans le pire des cas, s’il n’y avait rien entre eux, la présentation de trente minutes serait le début et la fin d’une courte histoire.
Peut-être qu’à leur arrivée ils ont d’abord pris le temps de regarder les immenses toiles, un peu mal à l’aise mais totalement conscients l’un de l’autre. Au milieu des visiteurs, anonymes, un espace chaste entre eux, juste assez près toutefois pour que tous sachent qu’ils étaient venus ensemble. Puis, doucement, au son de la musique classique judicieusement mariée aux tableaux, ils se sont peut-être mis à se balancer d’une jambe à l’autre. Les pieds dans la mer sur le parterre. Lentement d’abord. Chacun à son rythme. Puis de façon plus prononcée. Peut-être que leurs épaules se sont effleurées alors que les iris envahissaient l’espace. Que leurs regards se sont trouvés. Et que leurs sourires violets se sont étirés, jusqu’à leurs cœurs.
Peut-être que c’est à ce moment qu’ils ont su. Que la magie s’est installée. Quand il a remarqué la courbe de son cou sur lequel jouait la lumière jaune d’un tournesol. Quand l’ocre d’un champ de blé labouré a illuminé le noir de ses cheveux sagement coiffés. Peut-être que la musique et les couleurs les ont simplement transportés dans une dimension n’appartenant qu’à eux. Que les jaunes éclatants sont devenus des verts apaisants, pendant que leurs corps se trouvaient comme des aimants. Comme des amants. Et que, joue contre joue dans la nuit étoilée, ils ont su que trente minutes ne seraient jamais assez. Qu’aucun bleu ne vibrerait autant que celui de leurs yeux.
Je ne saurai jamais, Van Gogh, puisqu’ils dansaient déjà à mon arrivé. Mais imagine…
J’aime le football. J’encourage mes garçons à jouer au football. J’éprouve un réel plaisir à les regarder évoluer au sein de leurs équipes respectives, je suis leur plus grande fan. Je suis fébrile devant un terrain de foot entouré de couleurs d’automne ou au coucher du soleil alors que les lumières s’allument pour mettre les joueurs en vedettes. Mes fistons jouent depuis qu’ils sont en quatrième année du primaire, et maintenant finissants de secondaire cinq et en deuxième année collégiale, leur passion est toujours aussi palpable.
Je suis convaincue au plus profond de mes trippes que c’est un sport qui est bon pour eux. Je suis contente des études et des recherches en cours sur les risques liés à ce sport. Et il y en a pour tous les sports. C’est comme ça qu’on avance et qu’on s’améliore en société.
Il y a cependant une situation qui vient me chercher en tant que mère de joueurs de football. Étrangement, elle est généralement créée par un parent d’enfant qui ne pratique pas ce sport. Je comprends ce qui les motive. Je sais que ça part d’un bon fond. Mais j’aimerais arrêter de recevoir des inquiétudes remplies de sous-entendus de la part des autres parents. Du moins, que tu ne m’abordes pas en mettant en doute mon jugement sur les dangers de laisser mes garçons jouer au football. Si tu crois qu’en plus de dix ans à suivre ce sport je ne me suis jamais questionnée, c’est que tu ne me connais pas assez pour que ton opinion soit importante pour moi. Mais si tu as envie d’une discussion constructive, je suis ouverte.
Je suis une mère poule dans la vie, alors n’importe quel type de blessure m’inquiète. Je m’inquiète quand mes garçons partent en voitures avec d’autres, quand ils sont en voyages scolaires ou quand ils vivent des moments difficiles. Je ne me cache pas la tête dans le sable quand on parle de football, encore moins des blessures à la tête. Mais la science et la médecine comprennent et expliquent aujourd’hui plus que jamais ce qu’est une commotion cérébrale et comment la soigner. Encore plus loin, les équipes dans lesquelles mes enfants évoluent mettent tout en place pour éviter les coups à la tête et les risques de commotion. Est-ce qu’ils sont à l’abri? Évidemment que non. Est-ce qu’ils sont plus à risque qu’un enfant à qui on interdit tout sport pour éviter les blessures? Certainement. Est-ce que tu t’inquiètes pour mes fistons alors que ton enfant joue au hockey, au soccer, qu’il fait du cheerleading, du vélo de montagne ou du ski de compétition? Si c’est oui, je te félicite pour tout ce que tu investis en temps et en encouragements avec ton enfant. Et je prends pour acquis que tu as fait toutes les recherches de ton côté pour que ta progéniture pratique son sport en toute sécurité. Sans te juger…
Peu importe l’activité qu’un enfant choisi, je suis convaincue que les parents vivent des choses similaires. Nous sommes tous habités à un moment ou un autre de doutes, de craintes, d’espoir, de fierté devant leurs accomplissements et de peine dans leurs défaites. Si tu le vis dans le sport de ton enfant, je le vis dans le mien. Le choix du sport de ton enfant n’est pas meilleur que le mien. Surtout si l’enfant pratique une activité dans laquelle il se réalise et se sent bien.
Tu sais ce qui compte le plus pour moi? Depuis dix ans, mes enfants sont heureux et ils sont bien encadrés. Ils ont des parents qui croient aux vertus de l’entrainement et qui s’entourent d’une équipes de thérapeutes divers pour prévenir et prendre en charge rapidement toutes les blessures qui peuvent survenir en bougeant. Et peu importe le sport pratiqué, il y en aura. Tout comme il y a une panoplie de blessures que nous nous infligeons dans une vie et qui ne sont pas reliées au sport. On joue à faire une liste de tout ce qui pourrait arriver de grave dans un entrainement ou une partie de football pour mes garçons?
– commotion cérébrale, fracture d’un membre, étirement ou déchirure de muscle ou ligament, entorse, brulure causée par la surface, dislocation, contusion, claquage –
La liste a été écrite avec mes garçons, ils sont donc conscients que ce sont toutes des possibilités. Cette liste a ouvert une discussion sur leur sport. Je leur ai demandé s’ils avaient des craintes face aux risques du football. Les deux m’ont affirmé se sentir en sécurité et bien préparés. Mon plus grand m’a même expliqué les degrés de commotion, l’importance de bien les soigner, leurs répercussions, comment ils sont suivis en prévention par leurs thérapeutes. J’ai été impressionnée par le niveau de ses connaissances sur le sujet. Les deux connaissent aussi plusieurs amis qui ont fait des commotions causées par d’autres activités. Ils comprennent tous les deux les risques d’un sport de contact, mais se sentent compétents dans leur préparation physique liée aux impacts.
Nous avons aussi parlé des blessures physiques. Encore là, sans se sentir invincibles, ils comprennent l’importance de prendre soin d’eux pour pratiquer leur sport le plus en santé possible. Au quotidien, ils nous questionnent souvent sur les méthodes de récupération après l’effort. Ils ont tous les deux divers thérapeutes sportifs dans leurs contacts à qui ils se réfèrent sur une base régulière, en qui ils ont confiance pour répondre à leurs questions et apprendre à connaitre d’avantage leur corps. Ils sont proactifs et curieux de leurs propres machines.
Je leur ai demandé ce qui changerait dans leur vie si leur père et moi décidions que c’est trop risqué et qu’ils devaient abandonner le football. Après un moment de réflexion, mon grand s’est mis à m’expliquer que c’est par le football qu’il a appris ce que veut dire l’engagement, que c’est à cause de son sport qu’il est passé à travers ses études secondaires et qu’il est encore à l’école aujourd’hui. Que l’éthique sportive enseignée par ses entraineurs, il l’applique dans toutes les autres sphères de sa vie au quotidien. Qu’il joue encore au football après dix ans. Jouer. Par pur plaisir. Et que ce plaisir est important dans le fait qu’il soit en forme parce que sans son sport, il n’aurait pas la motivation de fréquenter un gym. Mais par dessus tout, ce qui est ressorti pour mes deux garçons, ce sont les liens forts tissés avec certains coéquipiers et entraineurs. Des liens forgés par l’effort commun, dans des situations de grandes émotions, et qui font aujourd’hui qu’ils ont des personnes importantes dans leurs vies sur qui ils peuvent compter. Mon plus jeune m’a même dit « Tu ne peux pas savoir ce que ça fait de rentrer sur un terrain de football avec toute ton équipe. Tu te sens en sécurité, entouré par quelque chose de fort. C’est dur à décrire si tu ne l’as jamais vécu». Demandez à mes enfants de vous parler de football. Leur passion est tellement forte qu’ils vous donneront l’envie de rejoindre une équipe!
Je dis souvent qu’une médaille ne pourra jamais être assez mince pour n’avoir qu’un seul côté. Le football comporte un côté de risques et un côté de grandes réalisations. Nous avons choisi en famille de ne pas vivre dans la peur. Et jusqu’à présent, le sport de nos enfants nous a tous touché et fait grandir. Nous allons continuer de les suivre tant que leur passion y sera en restant vigilants sur ce qui peut arriver, et en accueillant à bras ouverts tout ce qui est fantastique. Comme je l’espère être le cas pour chaque parent qui s’assoit sur une estrade et regarde évoluer son enfant dans un stade, un aréna, une piscine, un terrain, une piste ou un circuit. Au lieu d’analyser les raisons pour lesquelles ton enfant ne pratiquerait jamais le sport des miens, analyse les raisons pour lesquelles il a choisi le sport qui le rend heureux. C’est vraiment tout ce qui compte.
4 mai 2018 en plein milieu de la nuit, ma vie familiale bascule.
Ma mère subit un AVC important. Le trajet en voiture jusqu’à chez elle dans le brouillard pour y rejoindre les ambulanciers est le point de départ d’une année tourbillon. Des interventions et des jours dans un hôpital de Québec. Des semaines dans celui de Trois-Rivières. Des mois en centre de réadaptation. Une chirurgie avec complications graves et des semaines dans un hôpital de Montréal suivi d’une longue convalescence. Des heures et des heures de routes et de rendez-vous multiples. Presque une année entre parenthèses. Ce sont les faits résumés. Sa version personnelle de l’histoire lui appartient. Elle revient de loin.
4 mai 2019 un an plus tard, on me questionne. Comment va ta mère ? En fait, c’est la phrase que j’ai entendue le plus souvent dans la dernière année. Ça et, après la pluie le beau temps. Ce qui ne te tues pas te rend plus fort. Ou, le calme revient toujours après la tempête. Au oui ? J’ai hâte.
Parce qu’une tempête, une bonne, ça brasse et ça frappe de tous les côtés. On doit être capitaine de notre propre navire, mais il faut parfois faire partie de l’équipage du bateau des gens qui sont près de nous dans la vie. Des fois, il faut mettre le pilote automatique sur le nôtre et aider un autre capitaine à passer à travers sa houle. Sauf que pendant ce temps là, les vagues frappent aussi ton bateau laissé sans défense.
Capitaine, Oh mon Capitaine ! Une fois la tempête passée, est-ce que la vie redevient une longue traversée tranquille? Il faut d’abord remettre le navire à l’ordre pour reprendre le large. Et c’est ce bout là auquel je n’ai pas pensé. J’ai juste repris le large, sur un navire amoché.
Parce que quand tu t’occupes d’une personne gravement malade, ça arrive que tu ne saches pas comment t’occuper de toi en même temps. Pis tu ne peux pas te plaindre quand c’est pas toi qui es couché dans un lit d’hôpital à te faire manipuler par des dizaines de médecins et de thérapeutes par semaine. Parce que toi, physiquement, t’es pas malade. Pendant que tout le monde te demande comment ta mère va, ta job c’est de faire partie de son équipage. Point. Pendant que tout le monde lui dit qu’elle a de la chance d’avoir des bons matelots, tu sais que ça n’a rien à voir. Tu hisses la voile du sens du devoir, et celle de la résilience. Il n’y a pas de voile de chance.
Certains jours, t’as les jouent creuses et les yeux assez vitreux pour que des gens le remarquent. Ils veulent bien faire sans trop s’impliquer, et c’est compréhensible. Alors, ils t’offrent des conseils. « Il faut que tu t’occupe juste des priorités » qu’ils disent. Mais quand t’as laissé tomber ta vie sociale, que t’as arrêté de t’entrainer, que ta maison est en constant bordel, que tu t’habilles dans les tas de linge pas plié, que t’essaies d’être créative avec les fonds de garde-manger et que tu sais jamais quel jour de la semaine on est, tu priorises quoi ? Tu sacrifies quoi ? Tes enfants ? Ton couple ? Ton travail ? La personne malade ? Ça arrive que tu saches pas comment faire, ça fait que tu prends tout à bout de bras en te disant que ça va bien finir par finir. Pendant que tout le monde te demande comment ta mère va, tu gardes ta job de matelot en voyant à l’horizon ton bateau qui se fait fesser par les vagues de tous bords tous côtés. Il était un petit navire…
Et la vraie vie continue tout autour. Tous les capitaines que tu croises sont occupés à traverser leurs propres tempêtes. Il y en a qui te font sentir qu’ils comprennent et qui naviguent pas trop loin, au cas où t’aurais besoin qu’ils te remorquent un moment. Il y en a qui tournent le gouvernail pour s’éloigner parce les tempêtes des autres les effraient. Il y en a qui te disent comment mener ton bateau sans avoir aucune intention de mettre le pied à bord. Pendant que tout le monde te demande comment ta mère va, tu te rends compte que l’océan est plein de vaisseaux, plein de marins, mais qu’ils ne peuvent rien faire pour arrêter l’impression qu’à tout moment tu vas te faire engloutir. Tu sais que le fond de la mer est rempli d’épaves, mais tu manges la pluie en pleine face en regardant en avant pour avancer. C’est l’instinct de survie qui mène. Point.
Un jour, les nuages s’ouvrent et le soleil sort. Les vagues commencent à te bercer au lieu de te taper dessus. Pis t’es encore là. Le moment arrive où tu peux remettre les pieds sur ton bateau. Mais ça fait tellement longtemps que t’es parti que t’es même pas sûr de reconnaître les aires. Et ton voyage reprend doucement pendant des semaines jusqu’à ce que tu te rendes compte que tout le monde te dépasse, que t’avances tout croche. Et après une grosse année, pendant que tout le monde te demande encore comment ta mère va, un autre capitaine te pose la question. Comment tu vas, toi ? La question qui te force enfin à faire le tour de ton bateau pour inspecter les dégâts. Ce que tu aurais dû faire avant de repartir parce que ce que tu découvres te désole.
T’as de l’eau de peine plein la cale. Le moteur manque d’huile et de gaz. Les hélices du gouvernail sont tordues. T’as empilé la peur, la colère, la panique, la culpabilité, le stress, l’incompréhension, les cauchemars, les odeurs d’hôpitaux et les bruits de machines dans ta cabine. Mais les piles prennent toute la place alors tu dors debout, à côté. T’es encore sur le pilote automatique.
De l’extérieur, parce que la peinture a l’air propre, t’as pensé que ça tiendrait tout le reste. Ça tient. Mais c’est pas très solide.
Capitaine, Oh mon Capitaine ! Est-ce que c’est vrai qu’après la pluie revient le beau temps ? Que ce qui ne tues pas le matelot, ou le capitaine, le rend plus fort ? Maudite bonne question à laquelle je n’ai pas envie de répondre. Comme tous ceux qui ont traversé des tempêtes, je prends le temps de réparer mon bateau. Pour qu’il tienne le coup si je dois le quitter à nouveau ou si j’ai besoin d’accueillir un équipage à bord pour m’aider un jour. Il était un petit navire…